— Textes courts — 373 —2021
Axaence
Le promeneur marche, d'un pas alangui, presque paresseux.
'''Voix off
2 heures du matin.
La fête s'arrête. L'ennui de la vie refait surface.
Son cerveau embué de vapeurs d'alcool, comprend que la fête : ce n'est pas jusqu'au bout de la nuit, mais jusqu'au bout de l'ennui !
Le vestiaire qu'il a récupéré ne le protège pas du froid, le froid frileux d'une nuit d'été.
Ses pas résonnent dans l'atmosphère brillante des pavés mouillés.
Roland
Une dernière balade avant de rentrer chez moi, ce lieu où personne ne m'attend.
Je devrais m'offrir un chien, un animal dit "de compagnie". Un qui remue la queue à droite, puisqu'il paraît que du côté gauche c'est signe de stress. Et s'il stressait en me voyant ?
Il arrive sur les quais, Pont Alexandre III.
Roland
Que fait cette frêle jeune femme debout sur le rempart du pont, agrippée à un des réverbères ? Peut-être va-t-elle noyer son chagrin ?
Il s'approche. S'arrête à quelques pas.
Il prend la position d'un observateur.
Roland
(déclaratif)
Courage ! Sautez d'un côté... ou bien de l'autre !
La jeune femme sursaute de surprise.
La jeune femme
Bel inconnu, passez votre chemin, ce soir il n'y aura pas de spectacle, j'ai juste besoin d'une certaine hauteur.
Roland
(étonné)
De la hauteur ! Je vous imaginais plus courageuse que moi !
Pendant un instant, je vous ai admirée, belle inconnue.
La jeune femme
Ambre. Appelez-moi Ambre.
Roland
(surpris)
Quel joli prénom !
Curieux, il s'approche de quelques pas.
Ambre
Ce n'est certainement pas celui de ma naissance, mes parents n'ont aucune imagination.
Roland pointe un doigt vers le ciel
Roland
Que regardez-vous de si haut ?
Ambre
Je regarde mon rêve. Celui que j'ai fait cette nuit. Si puissant ! Je me suis rhabillée et j'ai décidé de le poursuivre en ce lieu, de le vivre plus intensément.
Roland
(intrigué)
Vous rêviez de vous jeter à l'eau ? Sous le regard de la lune ?
Ambre
(d'un ton dédaigneux)
Que vous êtes niais ! Vous aussi, vous êtes sans imagination !
Roland
(sur le ton enjôleur du flatteur)
Paf sur le nez ! Je suis remis à ma place.
Ai-je le droit de vous demander quel était l'objet de votre rêve ?
Ambre
La lune !
Un rêve entre mon imagination et celle de Jules Verne…
(pensive, la tête tournée vers la lune)
…Saint-Exupéry aussi. Et même le lapin blanc d'Alice au Pays des Merveilles.
Roland
(sur un ton moqueur)
Arrêtez de fertiliser avec votre imagination, l'herbe va pousser sur ce pauvre pont. Des champs de fleur vont apparaître… au petit matin, les automobilistes n'oseront pas souiller ce champ d'imagination et vous aurez provoqué le plus bel embouteillage de Paris.
Ambre
(rentrant dans sa coquille, vexée de cette répartie)
Moquez-vous !
Roland
(voulant continuer cette conversation si déroutante)
Vous vous êtes gaussée la première !
Ambre
C'est juste. Votre imagination n'est pas mal non plus.
Roland
Oseriez-vous me dire la teneur de votre rêve ?
Ambre descend de son promontoire, Roland la rattrape, l'empêchant de tomber quand elle a vacillé.
Ambre
En montrant la lune
Sur cette lune, si ronde, si parfaite, vit un lapin. Il change de couleur selon son humeur.
(elle rythme les phrases)
Il peut pédaler, il devient rose.
Il peut courir, il devient bleu.
Il peut avoir de la peine : il devient gris.
Il peut être amoureux : il devient blanc.
Il court, il saute.
Quand il fait un flip-flap, il projette des arcs-en-ciel.
Roland
(conquis et admiratif)
Un flip-flap ? C’est quoi ?
Ambre
(le ton est passionné)
Vous connaissez Suria Bonali ? Le saut périlleux arrière ? C’est ça un flip-flap.
Ils se mettent à marcher ensemble, côte à côte.
Ambre
On se donne rendez-vous demain ? Minuit ? Ici ?
Je vous raconterai d'autres histoires du lapin mystérieux qui pédalait sur la lune.
Roland
Et moi, je vous raconterai l'histoire de tapis de fleurs ou les histoires extraordinaires de Paris : sanglante bien sûr...
De quoi vous donner le frisson, d'en avoir si peur que vous ne pourriez être, chaque nuit, qu'accompagnée…
Surtout les nuits de pleine lune.
Ils continuent de marcher ensemble, un peu plus proche.
Ils sortent côté jardin.
Le rideau tombe.
