De nouveau, une lettre inutile que je ne t'enverrai pas. Elle rejoindra celles, écrites tous les ans, depuis notre séparation.
Tu me portais un tel amour, mêlé d'une réelle tendresse… Tu me manques… aujourd'hui ! Ton devoir a été le plus fort, tu es parti t'occuper de ton ex-femme et de tes enfants, encore jeunes. Tu devais atténuer leur frayeur d'avoir une mère internée pour sa folie. Celle qui t'avait fait tant souffrir ; instabilité des explosions physiques et des paroles démentielles, indomptées et indomptables. Celle-là pour laquelle tu avais fait peinture d'un phœnix. Est-ce cela que j'aurai dû faire ? Te piétiner, te bafouer, te rôtir aux affres de l'enfer ? Je ne suis dragon qu'en signe astrologique ! Moi, ta jeune vestale, prêtresse de nos nuits en ce port du Havre où tu voletais, guide des abeilles. J'ai eu le malheur de me montrer aimante, amante, soumise aux merveilles que tu m'apprenais, aux expériences de tes vingt ans plus vieux.
Nous étions amoureux, je n'en doute pas. Du haut de mes vingt ans, je me suis découverte femme, ardente sous tes doigts, notre osmose enflammée ose, osa, ardente vibrance et tu me l'ôtas par ton départ. Tes tentatives de retour, je n'ai pu les accepter, ton jouet était cassé. Je n'ai pu me résoudre à vivre et revivre, et l'amour, et le départ. Je n'ai pas été la plus importante de ta vie, je l'ai compris. Je reste avec mes souvenirs exaltés qui valent mieux qu'un futur anxieux. Être aimée, quittée, retrouvée… ce que tu avais fait, tu pouvais le refaire, je ne suis pas un pantin que l'on range dans une malle et que l'on ressort au premier sentiment renaissant.
L'inconstance ne vient pas des femmes, ce sont les hommes qui picorent sur nos corps et les abandonnent, et les revigorent, et les réfrigèrent. Quitte à souffrir, autant s'offrir la vie, vivre l'ivresse des rencontres futiles, fragiles, tactiles, découvrir d'autres hommes "très bien", mais ne se livrer vraiment à aucun. Plus jamais, peut-être… Tu m'offrais la vie en "peau de chagrin" ; j'en ai pris une autre et la vis à la folie.
Je dois t'aimer encore pour éprouver le besoin de t'écrire tous les ans à l'anniversaire de notre rencontre. Tu me désiras si fort que ta passion entraîna une mâle impuissance… tu m'aimas pour ma patience, pour mon attente sereine… pour l'extase qui en suivit, tu vénéras plus encore… pour mon amour fol et sincère… l'amour d'une femme naissante, toi le Pygmalion.
Ton odeur hante encore mes narines, tout m'est souvenir, j'ai vécu pour toi. Après toi, j'ai vécu pour moi, à mon grand désespoir ressenti en cette journée, mais je ne suis pas asservie toute l'année.
Ô, Mon René, notre amour fut mi-long, une encoche sur une flèche. Je travaille ma mémoire, elle travaille mon corps, mon âme, les souvenirs sont gris, les souvenirs sont flammes. Je promets à moi-même : demain, je t'oublie.
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