Par recueil
|
|
|
|
— Textes courts — 371 —2021
Axaence
Fête nationale
|
|
| Réflexion et inspiration :
|
| le 14 juillet
| Thème :
|
| Les rencontres
| Principe :
|
| -
| Contrainte :
|
| -
| Durée :
|
| -
| Date :
|
| Juillet 2014
| Recueil :
|
| 2021
| Longueur du texte :
|
| 9291
| Nombre de mots :
|
| 1664
| Statut :
|
| Fini
| Collection :
|
| Les ateliers de rue
|
|
|
|
| « Je glande, comme d'hab. » Assis sur un banc, j'observe la foule qui s'amoncèle contre les barrières. Vus de dos, ils sont ridicules, braillards. L'Homme est une espèce enthousiaste, apte aux euphories les plus intenses. Vas-y petit bonhomme, grimpe au lampadaire, attitude atavique, anime ton drapeau, exulte ta joie, salue les militaires et leur matériel de mort. Nous sommes une engeance de sauvage ; la loi du plus fort règnera toujours. Désespoir. Je n'aurai jamais dû venir à ce défilé. Mes instincts de drague m'ont traîné à ce carnaval. Je doute de soulever une nana ici, les gens semblent en famille, pas beaucoup de petites hystériques, où alors folles de soldats. « Je manque d'uniforme. Ici, je n’ai pas la classe. » — Bonjour ! Malgré moi, je sursaute. Je regarde cette inconnue, surpris de ne plus être le seul observateur en retrait. Elle est vieille ! — Bonjour Madame ! Vous voulez une place le long du défilé ? Je peux vous y aider… « Maman serait fière de moi, poli, bien élevé… » — Surtout pas mon garçon ! On voit plus de choses depuis ce banc ! Une personne à part, comme moi. — Ben non ! D'ici, vous ne pouvez pas voir le défilé ! Elle me regarde de ses yeux clairs… bleu délavé… — Qui vous dit que je viens voir le défilé ? Là, elle me scotche ! Elle ne drague pas quand même ? — C'est pour quoi alors ? D'un mouvement de tête et un petit clin d'oeil : — Comme toi, je regarde les culs… Enfin, non ! Ne te méprends pas, je regarde les DOS. Et surtout les attitudes : qui est qui ? J'observe ! Elle reluque le vieux avec un gros ventre. — Un instant j'ai cru que vous étiez là pour draguer, mais vous n'avez plus l'âge ! Semblant être offusqué : — C'est insultant ou ignorant : pour la drague, l'amour, les fantaisies, l'âge n'a rien à voir à l'affaire. Les vibrations du coeur sont éternelles… Waouh ! — Ça, c'est beau comme formule. On fait l'amour jusqu'à quel âge ? Je n’avais jamais réfléchi à ça. Comment font les vieux ? Oh ! Pardon, je manque de respect. « Là, ma mère me tirerait l'oreille. » — Les vieux font comme ils peuvent, plus tu vieillis, plus t'as d'imagination. Pour les sentiments ou pour l'envie, le cœur reste celui d'un adolescent, la connaissance des réalités en plus. La souffrance n'a pas d'âge, un coeur brisé reste un coeur brisé. Le temps qui passe nous entraîne à aller plus vite, c'est tout. Tout pareil comme à 15 ans. Les yeux dans le vague, elle soupire, ses souvenirs semblent à la porte de sa mémoire. — Vous avez quel âge ? — 85 demain ! dit-elle franchement, assez fière. « Purée, 85, comment je serai à son âge ? » Un homme se retourne et me jette un regard peu amène. Hé oui mon vieux un arabe sur tes Champs. — Pan ! fait la vieille dame. Je la regarde, étonné. — La guerre des regards. Il te déteste. Il ne te connaît pas et il te déteste. Plus exactement il déteste ce que tu représentes. Et toi, fièrement, tu as soutenu ce regard. Et maintenant, c'est de la tristesse que je vois dans tes yeux, de la colère aussi. J'ai la gorge nouée d'une colère rentrée et d'une douceur sans nom envers celle qui atténue cette blessure. — J'habite la banlieue pourrie, j'ai l'habitude de cette haine muette, cette détestation de l'étranger. Un temps, elle pense, elle me regarde : — Tu es étranger ? — Non… je suis né ici ! mais pour eux, je ressemble à un étranger. Elle soupire : — Si tu es français, tu ne dois pas t'arrêter à cela. Quand tu vois ce regard, ne le reçois pas, désarme-le, dis bonjour madame ou bonjour monsieur, souris, sois fier. — Pas facile. Même né ici, je suis Arabe, je viens de Tunisie. Elle fait un non de la tête à plusieurs reprise, penche la tête en avant, la redresse : — Être français, c'est une nationalité, pas une origine. Tu ne viens pas de Tunisie, ce sont tes parents qui en viennent. La Tunisie est une racine familiale. Être français, ça se ressent aussi. Tu étais pour l'équipe de France ? Là je suis enthousiaste : — Ah oui ! On a une équipe formidable, on va gagner dans deux ans. Elle resplendit et je ne sais pas pourquoi cela me rend fier. — Whaouh ! Un Français pur souche. Et la Marseillaise tu la connais ? Le soufflé retombe, sujet sensible ! — Ah non ! Ça, c'est pour le front national. — Penses-tu que tous ceux qui la connaissent sont extrêmes droite ? — Euh ! Non, les footballeurs la chantent. Moi je réfléchis et elle continue : — Ce chant c'est un symbole, comme le drapeau… quelque chose qui réunit tout le monde, tous ceux qui sont français. Les élections, le même président, la carte nationale, le passeport… Tout est dans la symbolique. Si tu ne te sens pas français, les autres peuvent le ressentir. Elle ne connaît rien à la situation. — Dans le quartier, personne ne se sent français. Exclus du boulot, exclus de la ville, connus de tous les flics. Même à l'école, ils avaient peur de nous… responsables de tout ! — Et vous n'avez rien fait pour amplifier l'affaire ? — Si, un peu. Il sourit, se souvenant. Même beaucoup… Elle semble sérieuse, plus soucieuse : — Nous sommes responsables de l'image que nous donnons, le risque est de tomber dans notre propre caricature. — Et vous, vous êtes la caricature de quoi ? Dit-il un peu énervé. — Du vieux tranquille qui fait chier les jeunes… Il rit, un rire guttural, désamorçant. — Vous me voyez comme un français ? — Je suis beaucoup plus atteinte que ça ! Pour moi, tous ceux qui sont en France doivent être considérés comme français, même temporairement. Nous vivons tous ensemble, la même chose au même moment… pour moi ça crée des liens. Notion de France ou pas, pour moi, l'humanisme doit prévaloir. Se sentir bien où nous sommes, et faire en sorte que tous ceux qui vous entourent soient bien, eux aussi, en osmose. J'ai quand même du mal à saisir son concept : — Je n’ai jamais entendu quelqu'un dire ça ! — Nous sommes des gens muets, tranquilles. Ceux qui beuglent sont une poignée, criant si fort que quiconque entendant ce vacarme s'imagine une armée. Un seul d'entre eux peut vous infliger une blessure longue à cicatriser. Ils gagnent quand une réplique est lancée pour infliger d'autres blessures. — Vous avez été blessée ? Elle semble soupirer de douleur : — Quand on naît femme, les blessures sont nombreuses. La seule armure possible est de savoir qui on est et qui sont les autres, et principalement d'étendre notre sagesse autour de nous. Je m'étonne de mon changement d'humeur, j'écoute mes pensées : — Avec moi, ça marche. J'ai l'impression d'être à l'unisson avec les autres sur ce banc… Pourquoi, je ne trouve pas de travail ? Elle le regarde chaleureusement. — Découragé ? — Enterré ! — Tu as quel âge ? — 19 ans Elle se tait pendant un instant, pensive… je la regarde, je la trouve belle maintenant, il émane d'elle un quelque chose… comme une jeune mariée… la plénitude ! — La prochaine fois que tu iras chercher un boulot, assure-toi que ton CV est parfait, il te reflète. Tu dois sourire, être en harmonie avec l'univers, tes pensées doivent être positives, tes gestes détendus, gracieux. Tout cela sans excès, juste la touche qu'il faut. Tu dois être rassurant, aimable, radieux. Tu auras fait la moitié du chemin. Il faut séduire ton futur employeur. Lui démontrer agréablement que c'est toi qu'il lui faut. Je la regarde, elle semble si sereine et convaincue de son discours… — Un monde Bisounours, quoi ! — Pas de moquerie, jeune homme ! — Vous ne voulez pas être ma grand-mère, je vous adopte. Elle écrit sur une petite carte, la met dans une petite enveloppe. — Ne l'ouvre pas tout de suite, mais demain matin. Tu viendras me voir et tu me feras la surprise. Nous nous disons au revoir. Je rentre chez moi, incapable d'en parler à quiconque, l'atmosphère est au conte de fées, qui me croirait ? Le lendemain, j'ouvre religieusement l'enveloppe, je relis, interloqué : RDV 10 h, Cimetière Nord, allée 124, tombe de Marie, des fleurs roses y sont en permanence. 9h50, personne. C'est la première fois que je mets les pieds dans un cimetière. 10h00 toujours personne. 10h10, elle est en retard. Je suis aussi tendu que pour une rencontre amoureuse. Cette personne emplie d'amour et sachant le transmettre m'a touché. — Bonjour, vous rendez visite à Marie. Une superbe jeune fille tient des roses à la main. Je me pousse pour qu'elle les pose sur la tombe tant fleurie. — Euh ! Non, j'attends quelqu'un, j'ai rendez-vous ! Elle éclate de rire. — Drôle d'endroit pour un rancart ! — C'est avec une vieille dame ! — Pour la symbolique, vous repasserez ! — C'est elle qui m'a imposé ce lieu ! — Elle s'appelle comment ? — Je ne sais pas, elle n'a rien marqué. — Faites-moi voir cette carte. Elle regarde… chancèle. — Ce sont les armoiries de ma grand-mère en filigrane. — Pardon ? Je reprends la carte. Je vois le relief, son dessin. La jeune fille se penche sur la tombe, écarte les fleurs. Je vois le même dessin sur une plaque d'émail. Je suis sans voix. — La photo représente la personne que j'ai vue hier ! — Je vous crois, il arrive qu'elle me rende visite. L'autre jour, j'étais dans la rue, sa main s'est glissée dans la mienne, nous avons fait quelques pas, les yeux dans les yeux. Peu de gens me croient, je ne raconte plus rien, la famille pense que j'invente, mais pas encore que je suis folle. — Elle s'appelle Marie ? — Oui ! — Bonjour, Marie, finalement vous étiez à l'heure !
|
|
|
|