Le noir s'efface peu à peu, j'émerge de ma torpeur, mes yeux s'ouvrent hésitants et soudain je réalise horrifiée que je me trouve dans une chaloupe.
Ca y est, je me souviens : le navire de croisière aux voiles blanches somptueuses tel le Belem mais en plus massif pris dans les ténèbres d'un tiki-tiki, cet ouragan du pacifique.
En pleine nuit nous croisions dans le Triangle de Corail, zone couvrant l'Indonésie et ses dix-sept mille cinq cent îles et brusquement nous nous échouâmes sur un petit îlot non répertorié sur le GPS du navire.
Le bateau coula en un peu plus de deux heures, bien des passagers périrent noyés, d'autres avaient pris des chaloupes dans une direction opposée à la mienne.
Je fus la seule dans une dernière embarcation qui chuta de cinq mètres dans la mer démontée.
Je contemplais, hébétée l'éloignement du bateau encore éclairé mais je ne me doutais pas que des passagers clandestins avaient été confinés dans la chaloupe avant que je ne me débatte avec le frêle esquif.
Je sentis un souffle haletant derrière moi, une bête allait me sauter dessus de manière imminente.
D'un bond, je l'esquivais, c'était une panthère nébuleuse à la robe tachetée couleur gris perle.
Heureusement plus de peur que de mal car c'est un félin inoffensif qui avait dû être mis dans la chaloupe pour être sauvé d'une mort certaine par des biologistes en mal de préserver une représentante de cette espèce en voie de disparition.
Je décidais de l'appeler Pantéa, prénom d'origine iranienne d'où elle pouvait provenir par on ne sait quel trafic.
Dans un recoin, je pouvais apercevoir un petit animal recroquevillé sur lui-même, on eut dit une pomme de pin. C'était un pangolin de Malaisie.
Ses écailles étaient très prisées de Shanghaï à Hanoï où il était outrageusement pourchassé pour ses pseudo vertus médicinales pouvant augmenter la libido de son consommateur.
Je décidais d'inspecter de fond en comble la chaloupe de douze mètres sur deux et je découvris également dans un rangement conservant des fusées de détresse, un petit phalanger volant d'Australie.
Le pauvre, ses replis de peau ne pourraient lui servir à planer hors de la chaloupe afin de trouver une terre accueillante, il lui fallait pour cela une forêt et un arbre duquel il s'élancerait pour planer à travers les bois du Queensland à la recherche de fruits.
Soudainement, la mer qui, il y a quelques minutes était pleine de remous se figea en une mer d'huile.
Les animaux se raidirent, un péril s'annonçait.
Brusquement, des poissons au corps oblong et au rostre aiguisé sortirent de l'eau à une vitesse effrénée.
Je saisis Pomme de pin le pangolin et l'enroula autour de mon cou pour me protéger. Les pêcheurs Badjaos d'Indonésie m'avaient raconté que les Epines de mer se projetaient hors de l'eau pour attraper des insectes dont elles se nourrissaient et si par malheur des humains se trouvaient à leur portée, leur bec acéré pouvait se planter dans la gorge d'autrui et sectionner s'ils n'y prenaient garde leur carotide.
Pendant un long moment après cette menace, je songeais : Moi et mes souvenirs où j'avais assuré mes parents que cette croisière se passerait dans les meilleures conditions possible, je me retrouvais seule avec ces animaux merveilleux ; le pangolin Pomme de pin, la panthère nébuleuse Pantéa et le phalanger volant Polatouche en référence à l'écureuil planant d'Amérique du Nord.
Je les avais nommés ainsi car leur collier mentionnait leurs caractéristiques et leurs origines mais pas leurs noms et je jurais de les rendre à leur terre d'origine si je m'en sortais vivante.
Qu'allions-nous devenir, allais-je errer pendant des mois avec le peu de vivre que nous avions et dont je réservais une moitié providentielle aux animaux.
Serions-nous à la merci des éléments ?
Dans un délire de solitude, je me prenais à rêver d'une plongée sous-marine dans les profondeurs du Triangle de Corail à la recherche des plus belles holothuries à la robe à la belle couleur bleue ou rouge ou jaune translucide dansant tels les voiles des robes de Loïe Fuller au début du X Xème siècle.
Je découvrais des poissons clowns genre Némo se protégeant dans les anémones de mer.
Allions-nous couler et sombrer à plusieurs milliers de mètres dans les abysses dont nul ne revient.
Cela faisait vingt jours que nous dérivions sur les flots, déshydratés, les animaux souffrant lorsque j'entendis des coups sur le bâbord et le tribord de l'embarcation.
C'étaient des dugongs, ces vaches de mer qui heurtaient l'embarcation.
Miracle ! Cela signifiaient que le plancher marin était peu profond et que si je sautais par-dessus la chaloupe j'avais pied.
Effectivement, j'avais pied, les dugongs se nourrissaient d'algues et d'herbes de mer à proximité d'îlots.
J'aperçus au loin des pêcheurs qui me criaient de les retrouver.
Ils vinrent à notre secours en s'élançant avec leurs pirogues.
Nous fûmes sauvés, enfin.
Je repris des forces, à l'instar de Pantéa la panthère nébuleuse, de Polatouche le phalanger volant et de Pomme de pin le pangolin.
Je pris contact avec des biologistes qui avaient leurs numéros de portable sur les colliers des animaux.
L'histoire se finissait bien a priori, ce fût une expérience qui je l'espérais me ferait grandir en maturité.
|